Je voudrais vous parler d'Ismaël*, un petit blond aux yeux bleus, aujourd'hui 35 ans... à la rue. Je l'ai croisé tout à l'heure près de la Bastille à Paris, faisant la manche, deux chiens bâtards de pitbull en laisse, et me suis arrêtée pour scruter le fond de mon porte-monnaie. J'ai hésité. Les gens passaient sans le voir, alors je me suis avancée en m'excusant pour le peu. Au lieu de faire une mauvaise mine en regardant mes piécettes, il m'a remerciée ému en me disant que j'étais la première personne du week-end à lui donner quelque chose, et il m'a raconté... Il m'a raconté qu'une heure plus tôt un bon bourgeois avec sa femme lui avait tendu un billet de 50 €. Il avait commencé à remercier... en français.
- Ah, vous êtes Français ?
- Oui...
- Alors non, je préfère donner aux migrants !
Ismaël m'a dit qu'il s'était caché pour pleurer. Et que tout est comme ça. Pas pour lui.
Dès que les enfants de la DDASS atteignent 18 ans, on les met dehors sans que rien soit préparé pour la suite. Pas de logement, pas de formation. Rien. La rue. Lui a eu beaucoup de chance, m'a-t'il dit. Le jour même il avait croisé un propriétaire de biens qui lui avait prêté un logement et recommandé de trouver un apprentissage. Ismaël s'est donc formé en ferronnerie (travail du métal, pose de stores, etc.). Il a épousé une copine de la DDASS, ils ont eu un petit garçon qui a aujourd'hui 6 ans. Tout allait bien. De Hyères dans le Var, où ils avaient passé leur jeunesse, ils étaient montés à Paris pour le boulot. Mais il y a deux ans tout s'écroule. Après avoir déposé leur gamin à l'école, sa femme a un accident de voiture et n'y survit pas. Ismaël fait une dépression, perd son travail. Visiblement un père sans travail avec un enfant n'est pas prioritaire pour un logement social. On préfère lui retirer l'enfant pour le placer en foyer ! Le lui retirer ? Non, on le lui arrache, une scène que ni l'enfant ni son père n'oublieront jamais. Et l'assistante sociale s'étonne aujourd'hui que le gamin soit très en colère, refuse d'aller à l'école et réclame son père tous les jours...
On lui dira peut-être qu'il n'a qu'à faire ci ou ça, aller voir tel ou tel organisme. Il les a tous fait. Aucune aide de nulle part. Sans logement et sans revenu, il n'a pas le droit de prendre son garçon pour le week-end. Il a écrit une longue lettre pour expliquer tout ça. Aucune réponse des autorités. Pourtant je peux témoigner qu'il est sobre, les idées claires, gentil.
Pire. Il arrivait à trouver du travail en intérim, mais depuis plusieurs mois une adresse est exigée... et impossible de trouver un logement sans travail. Quant à la demande de domiciliation à laquelle la loi lui donnerait droit, il a rempli un dossier et cela fait des mois qu'il attend une réponse. Il n'a pas encore pu renouveler sa boîte postale car il s'est fait voler portable et papiers. Il n'en a pas parlé mais je pense que les chiens - bien élevés du reste - sont là pour le protéger.
Il est tout maigre dans ses vêtements devenus top grands. Il m'a dit qu'il ne pèse plus que 45 kg contre 65 avant. Il n'ira pas loin avec ça.
Alors si vous connaissez quelqu'un qui aurait une chambre...
Voir et revoir : Enfants de la DDASS, les sacrifiés de la République